Tu sors de chez toi.
Tu sors de chez toi et tu marches.
Tu sors de chez toi et tu marches, tu fais un
tour.
Tu sors de chez toi et tu marches, tu fais un
tour, le tour de toi-même.
Tu sors de chez toi et tu marches, tu fais un
tour, le tour de toi-même, tu ne te retournes
pas.

Tu ressens la satisfaction des gens qui se
savent ici chez eux, ici c’est chez toi tu le sais,
tu le sais parce que tu en fais l’expérience
tous les jours, et tous les jours tu marches, et
tous les jours tu fais un tour, et tous les jours
tu fais le tour de toi-même, tu ne te
retournes pas, tu tournes en rond et tu ne
t’en rends même pas compte.
La même trajectoire, les mêmes façades, les
mêmes passages piétons, ton pain tu
l’achètes toujours au même endroit, et tu es
satisfait.

Et tu te sens ici, tu ne te sens pas ailleurs,
d’ailleurs tu ne t’imagines pas vivre ailleurs,
il t’en a fallu du temps, d’ailleurs, pour te
sentir ici, pour savoir qu’ici, que c’était bien
ici et pas ailleurs, que tu voulais vivre, que tu
allais vivre, que tu vivais déjà, des dizaines
d’années, des années qui défilent.

Et tous les jours, tu sors de chez toi et tu
marches. Tu marches, tu fais un tour, tu
tournes autour, du temps, des jours, de ceux
qui arrivent, comme toi des années
auparavant, mais tu ne dis pas, tu ne dis rien,
tu ne vas pas vers, non, ça te ferait dévier, ça
dévierait ta trajectoire.
Ici c’est chez toi, le sillon que tu traces c’est
chez toi, la boulangère que tu salues, c’est la
tienne, le passage piéton que tu traverses,
c’est le tien. Et l’autre, l’étranger, celui qui ne
sait pas, celui qui ne sait pas encore, tu ne le
vois pas, tu ne le regardes pas.

Tes yeux se posent là où tes yeux ont prise, là
où rien ne change, là où rien n’est
bouleversé, l’usure, tu ne la vois pas, tes
yeux, s’accrochent, tu résistes, le changement
te ferait perdre le sentiment d’être chez toi.

Ici c’est chez toi, la boulangère, le pain, le
passage, le temps, tu as 25 ans, tu arrives ici,
ici c’est pas ailleurs, aujourd’hui 40, ici cela
doit / être / chez / toi / à / toi / non / chez /
pas / à / tu ne peux pas, tu ne peux pas tout
avoir, on ne peut pas tout avoir dans la vie,
ta mère, elle te disait ça mais tu ne la
possédais pas non plus, tu ne peux pas
posséder un passage piéton, la boulangère,
non, ton pain, oui, tu le manges, tu l’avales,
mais la ville, c’est elle, qui t’avale.


 

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